f(x) = 25 – x
Sens critique, le 30 octobre 2018
Année vingt-quatre est construit à la façon du Je me souviens de Perec, à ceci près que le propos est plus ouvertement politique, qu’il semble y avoir une chronologie plus marquée et qu’on y trouve des chapitres – vingt-quatre, précisément, sachant que le chapitre x compte (25 – x) chapitres, ce qui a peut-être un rapport avec l’exposant du vingt-quatre du titre. Le lecteur non spécialiste de la Tchécoslovaquie appréciera du reste les nombreuses notes de bas de page qui, sans transformer l’ouvrage en un manuel d’histoire récente du pays, apportent des éclaircissements bienvenus. Autre différence avec les souvenirs de Perec, qui concourt à brouiller les genres : à la fin de chaque chapitre, des notes empruntées à des documents historiques développent et appuient tel ou tel aspect du propos.
Si on a lu les œuvres précédentes (c’est-à-dire suivantes dans leur publication en français) de Patrik Ourednik, on ne sera donc pas surpris de retrouver dans Année vingt-quatre les mêmes préoccupations que dans Europeana ou La fin du monde n’aurait pas eu lieu : l’histoire (particulièrement les crises), le langage (particulièrement en temps de crises) et l’idéologie (qui utilise généralement le langage pour soumettre l’histoire). C’est ainsi que l’humour qui court partout dans le texte reste avant tout politique : « Je me souviens d’une autre anecdote : le directeur de la prison de Pankrác avait eu des problèmes parce qu’il avait fait accrocher au-dessus du portail de la prison une banderole avec écrit “Bienvenue !” à l’occasion d’une visite officielle de l’URSS » (p. 96-97).
Année vingt-quatre joue perpétuellement sur des décalages : entre la forme retenue (une liste) et ses ambitions (satiriques), entre celui qui émet chaque message (tantôt le narrateur, tantôt les autorités, tantôt on ne sait qui), celui qui le prend à son compte (idem), celui à qui il est destiné (narrateur, lecteur, personnage…) et celui qui le reçoit en pratique… On se dit régulièrement que tel ou tel passage n’a non seulement rien à faire là, mais que son sens n’a par ailleurs rien à voir avec le réel : ainsi, parmi les slogans qui s’affichent en tête de chaque double page, « Sonnons les cloches de la paix, que tremble le Pentagone ! » (p. 110-111).
Si bien qu’au bout du compte, en termes d’ambition, on a davantage qu’une réécriture du Je me souviens. Du reste, la préface est intéressante et le livre est beau.