Patrik Ourednik

lundi 6 février 2012
par  NLLG

Patrik (Patrick) Ourednik est un écrivain tchèque né en 1957 à Prague. Il est l’auteur d’une vingtaine de livres et le traducteur en tchèque de Rabelais, Jarry, Queneau, Beckett, Michaux ou Vian. Il publie en 2001 un livre qui fera le tour du monde, Europeana. Une brève histoire du XXe siècle.

Bibliographie complète ici.

Patrik Ourednik passe sa jeunesse dans la Tchécoslovaquie des années 1970, en pleine « normalisation » qui avait mis fin aux espoirs du Printemps de Prague. Signataire de la Pétition pour la libération des prisonniers politiques [1] et éditeur de samizdats, il devient persona non grata : en 1984 il s’exile en France où il vit depuis.

Toute l’œuvre de Patrik Ourednik – dictionnaires « non conventionnels », essais, romans, poésies, pastiches – est marquée par l’intérêt pour les idées reçues, les préjugés et les stéréotypes, examinés à travers le langage, l’expression, pour lui, de « la vérité d’une époque » : « Quant à moi, j’essaie d’appliquer un principe un peu différent, en partant de la prémisse qu’il est possible de prendre comme synonyme de la “vérité d’une époque” la langue de cette époque, autrement dit de s’emparer d’un certain nombre de tics langagiers, de stéréotypes et de lieux communs et de faire en sorte qu’ils agissent et qu’ils se confrontent au même titre que les personnages d’un récit traditionnel. » [2]

Principale oeuvres en prose

Année vingt-quatre (1995) renoue avec les « jeux de mémoire » de Joe Brainard et Georges Perec. La base de ces « descentes » dans la mémoire de l’auteur est constituée par des souvenirs fragmentaires, introduits par la formule « je me souviens ». Par ces bribes de souvenir, qui concernent les années 1965 à 1989, l’auteur fait ressurgir des instantanés tirés soit de sa propre vie, soit de ce qu’il est convenu d’appeller des « grands » faits de société. On entrevoit des clichés propres à une situation particulière, des détails éternels, des fragments de discours, des truismes, des tics à travers le prisme du sujet et du « vécu » de l’auteur. Le regard d’Ourednik reste individualisé, caractérisé, sans pourtant qu’il ne pose le moindre jugement sur les évènements. L’époque se démasque d’elle même, par sa langue, qui se trouve soudain, sous le microscope de l’auteur, arrachée à son contexte de communication située dans le temps.

Europeana (2001) propose, comme le dit son sous-titre, une « brève histoire du vingtième siècle », racontée non pas d’un point de vue objectif, mais comme « par en-dessous ». Le récit ne respecte aucune linéarité chronologique, il ne fait pas de hiérarchie entre les évènements de l’époque, il ne cherche pas de lien de cause à effet, enfin il ne personnifie pas l’histoire. Dans la droite ligne de Bouvard et Pécuchet [3], c’est bien la « langue du XXe siècle » qui est au cœur d’Europeana : discours diffus et indifférenciés, concentrés et mis en système, et qui convoquent, indistinctement, dans un inventaire absurde qui va de la Première Guerre Mondiale jusqu’au bug du millénaire, la mort de Dieu et la télévision, Buchenwald et le positivisme, l’émancipation de la femme et l’invention de l’escalator.

Instant propice, 1855 (2006). On retrouve le même projet d’écriture – la restitution de la « vérité d’une époque » par l’adoption de sa « langue » spécifique, qui seule la rend audible – dans Instant propice, 1855, librement inspiré d’une expérience anarchiste tentée en 1890 au Brésil, récit polymorphe d’une utopie libertaire qui s’épuise en parlotte. Tout comme Europeana, Instant propice balaie les manifestations de la bêtise humaine en se plaçant en leur sein : raccourcis de pensées et formules toutes faites, manifestations idéologiques d’un temps, truismes universels.

Dans Classé sans suite (2006), qualifié par son postfacier de « faux polar mais vrai thriller métaphysique » [4], Ourednik revient à Prague, capitale d’un « nouveau pays sans nom ». Débutant à la façon d’un texte de Queneau, le roman s’avère peu à peu un piège pour le lecteur : frustrant les attentes ouvertes par un “roman”, Classé sans suite déjoue le conformisme romanesque. Toujours selon le postfacier, « Ourednik a réussi à accomplir (...) le projet tout flaubertien d’écrire un livre sur rien » [5]. Ourednik lui-même avait donné quelques pistes dans un entretien accordé en 2007 à la revue Labyrint : « Comment écrire sur rien  ? Qu’est-ce rien ? Un vacuum rempli du langage au sens propre comme au sens figuré. L’illusion d’une existence digne d’être exprimée, l’illusion d’une histoire digne d’être racontée, l’illusion d’une cohérence digne d’être démontrée. La vie humaine dans ses trois formes : j’existe (existence), je progresse d’un point à un autre (histoire), un sens s’en dégage (cohérence). Ce livre-là aurait pu aussi bien s’intituler Si seulement » [6].


[1Lancée, en 1979, par le Comité pour la défense des personnes persécutées (VONS).

[2«  Soirée littéraire consacrée à l’oeuvre de Patrik Ourednik  », Cercle de réflexion, Communauté européenne, 2009.

[3Florence Pellegrini, «  Flaubert et Ourednik : Histoire en farce  », Seminaire Flaubert 2010-2011, ENS, le 2 avril 2011. In : Flaubert, l’empire de la bêtise, éditions Cécile Defaut, 2012.

[4Jean Montenont, «  Libre suite à Classé sans suite  », p. 169 de l’édition française. Lire la postface.

[5Ibid., p. 175.

[6Ibid., p. 175.