Classé sans suite
« Les hulottes hululaient, les hiboux hiboulaient. »
J’ai découvert Patrik Ourednik en cherchant des auteurs tchèques et possiblement un roman dont l’action se situe à Prague. Alors, en ce qui concerne l’auteur tchèque, c’est bien ce qu’est Patrik Ourednik, mais il faut quand même savoir qu’il vit en France depuis une trentaine d’années. Il est auteur mais également traducteur, du tchèque au français et du français au tchèque. Il a d’ailleurs une estimation très dévalorisée de ses compatriotes (il y a des moments où je pensais à Thomas Bernhard parlant des Autrichiens) :
« Arriver à exprimer son crétinisme avec toute l’autorité que cela suppose est pour les Tchèques l’ambition suprême. »
Pareillement, si l’action se situe bien à Prague, il y a là aussi un bémol, c’est une Prague qui n’est pas tout à fait exacte : rues qui n’existent pas ou qui ne se trouvent pas exactement là où elles devraient être… On est dans un roman, n’est-ce pas ? Alors pour visiter Prague, vous vous achèterez un guide et vous n’utiliserez cet ouvrage que comme roman. Ce sera mieux.
Quoique, ce n’est pas tout à fait exact non plus. Classé sans suite n’est pas qu’un roman, c’est une démonstration. Sur ces 175 pages, vous en lirez d’abord 150 comme un roman policier assez complexe, de type whodunit dont le lecteur cherche, avec difficulté mais le sentiment de pouvoir y arriver, à déjouer les pièges et saisir l’intrigue dans ce qu’elle est vraiment.
Nous suivons Dyk, un vieillard irascible et méchant dans l’entourage duquel les morts accidentelles et suicides en tout genre se multiplient. Dyk a un fils, Dyk jr, qu’il a depuis toujours décrété et présenté comme débile mental, sans doute principalement parce que cela lui épargnait la peine d’avoir à l’éduquer.
Autour des décès vient flairer l’inspecteur Lebeda (également « indicateur furtif » à ses moments libres, moyennant prime). Cela lui donne une allure peu reluisante mais Lebeda est aussi un homme intelligent. Il serait stupide de le sous-estimer.
Ce roman dont le premier chapitre n’est tout simplement que la transcription d’une partie d’échecs, est tout entier, une énigme, un rébus, une devinette. On y trouve des clins d’œil, des références borgésiennes, des contraintes oulipiennes… mais y trouverons-nous l’explication à tout ce qui s’y passe ?
Arrivé au terme de ces 150 pages, comme mes idées n’étaient tout de même pas tout à fait limpides, j’ai noté sur une feuille les grandes lignes de ce que que j’avais compris de l’histoire. Les 25 pages suivantes n’allaient pas me donner tort, ce qui ne les empêcherait pas de modifier totalement ma vision de ce que je venais de lire.
Car au roman proprement dit s’ajoute une postface de Jean Montenot sous le titre audacieux de « Libre suite à Classé sans suite ». Ces 25 dernières pages reprennent l’histoire que nous venons de lire et donnent, sinon les clés, du moins les pistes et les idées qui la sous-tendent et là, on arrive dans quelque chose de vraiment très intelligent et cet énigmatique opus qui jusque là n’avait que ma sympathie, s’est tout à coup révélé digne de quatre belles étoiles toutes dorées. La page 166 de Jean Montenot m’a tout à fait emballée ! Mais je ne vais pas vous la recopier là et je crains que vous ne soyez obligés d’acheter vous aussi cet excellent bouquin.