Ptyx (Emmanuel Requette)

mercredi 5 décembre 2012
par  NLLG

« Classé sans suite » de Patrik Ourednik

Emmanuel Requette

PTYX, 6 février 2012


L’année est déjà bonne. Les éditions Allia ont le bon ton de ne pas nous donner à lire un seul mais bien deux nouveaux opus de Patrik Ourednik, l’auteur du jouissif Europeana, une brève histoire du XX ème siècle. Joie donc !

Que classe t’on sans suite si ce n’est ce qui n’offre pas une cohérence univoque ? Ce dont on ne peut ramener les parties éparses vers un tout rassembleur qui viendra les conclure ? Classé sans suite, par son titre, prévient déjà, lucide sur son destin et le revendiquant presque. Un vieillard misanthrope, un enquêteur cultivé, une suicidaire, un viol douteux, un meutre vieux de quarante ans, des incendies… Et d’autres personnages et événements que malgré les tentatives (bien moins celles des divers personnages que celles du lecteur), rien ne viendra unifier. Car le but n’est pas là. Le lecteur ne doit plus être ce dédoublement de l’enquêteur, ce réceptacle en quoi va se cristalliser la rassurante raison d’être du texte. Et l’appel au lecteur n’est plus simplement classique mise en abyme, invite à rejoindre le carcan de l’oeuvre, mais appel à sa propre responsabilité.

« Lecteur ! Notre récit vous paraît dispersé ? Vous avez l’impression que l’action stagne ? Que dans le livre que vous tenez en main, il ne se passe au fond rien de très remarquable ? Gardez espoir : soit l’auteur est un imbécile, soit c’est vous ; les chances sont égales. D’autres trépassèrent, oyez ! nous mourrons tous ! Qui c’est qui sait comment ça finira ? On s’embrouille parfois dans sa propre vie sans s’en apercevoir ; il en va de même pour les personnages de roman. »

S’il y a raison d’être du texte, elle n’est pas rassurante car tel n’est pas son but. L’oeuvre traditionellement dite réaliste offre au lecteur le cocon d’une fin unifiante, qui vient éclairer ce qu’elle précède, lui donner « sens ». En cela, elle s’écarte fondamentalement du réel (oui mais c’est quoi le réel ?).

« Quant au lecteur, il a définitivement compris qu’il n’y comprendra définitivement rien : que peut fournir une chute plus sensée à un roman ? (…) Oui ! Nous naissons dans un roman dont le sens nous échappe et le quittons sans avoir rien compris. »

La raison d’être du roman est qu’il n’y en a pas. Et ce qu’il doit exprimer est cela-même. Mais ce qu’il exprime aussi, dèjà par sa seule présence sous nos yeux, c’est qu’on peut être sans raison. Que la découverte de son non-sens est sans doute ce qui permet à l’être de se goûter le plus pleinement.

La vie est une farce dont il nous est permis de rire, jusqu’à l’éclat.