« Soit l’auteur est un imbécile, soit c’est vous »
Boris Senff
24 heures, 10 février 2012
Patrik Ourednik, écrivain tchèque exilé en France, publie de front un antiroman hilarant et des poèmes à la sève caustique.
Patrik Ourednik soigne son originalité. Apparu sur la scène littéraire en 2004 avec son livre Europeana, l’écrivain tchèque exilé en France réalisait avec ce récit une saisissante synthèse de l’histoire européenne du XXe siècle en accolant et télescopant des bribes historiques jusqu’à parvenir à un sentiment d’absurdité assez pertinent.
Cette année, l’écrivain de 54 ans n’a toujours pas désarmé son anticonformisme et revient avec deux publications conjointes chez Allia, de visées apparentes très différentes. Classé sans suite se présente comme un roman, tandis que Le silence aussi comme un recueil de poèmes. S’il débute à la façon d’un roman de Queneau plus chargé en salacité et mauvais esprit (tchèque), le roman d’Ourednik s’avère un piège pour le lecteur, et le Prague dans lequel évoluent ses personnages un décor de carton-pâte.
Les pistes de l’intrigue s’égarent, ne mènent nulle part. Page 98, l’auteur ne s’en cache pas : « Lecteur ! Notre récit vous paraît dispersé ? (…) Gardez espoir : soit l’auteur est un imbécile, soit c’est vous ; les chances sont égales. » L’égalité en question est toute théorique, comme le démontre une sorte de postface où, sous pseudo, Ourednik éclaire et justifie cet inachèvement machiavélique. Frustrant les attentes ouvertes par un roman, Classé sans suite déjoue le conformisme romanesque, avec un humour qui rend la démarche supportable. On savait le Tchèque rétif au code, son antiroman confirme un nihilisme ludique et critique (le roman comme machine à ressasser inlassablement les mêmes intrigues délassantes).
La parution simultanée du Silence aussi et ses 55 petits textes donne une piste de plus sur les intentions littéraires d’Ourednik. Ces poèmes, aussi vigoureux et polymorphes que minimalistes, revivifient avec éclat un genre donné pour moribond (si ce n’est tout à fait mort) qui, malgré le récent Prix Nobel de littérature, a perdu de son attrait. Il y est question du brouhaha, du trop-plein de mots, de répétition et de mort. Le sarcasme y est toujours tenu à distance par un pathétique mesuré, voire enjoué. « Le silence en dit long / Pour peu qu’il soit partagé. » Certains auteurs à succès feraient bien de le méditer au moment de signer leurs à-valoir.