Un aller-retour pour maître Alcofribas
(préface au Traité de bon usage de vin)
Le Traité de bon usage de vin, dont l’original reste à découvrir, [1] fut publié en tchèque dans la traduction de Martin Kraus de Krausenthal, nommé Carchesius en latin, en 1622, c’est-à-dire une dizaine d’années après la mort de ce dernier. Son édition tchèque moderne [2] à laquelle puise la nôtre a été établie à partir de l’un des trois exemplaires connus, conservé à la Bibliothèque du Musée National à Prague [3]. L’édition de 1995 constitue la seconde réédition du texte. Une version légèrement écourtée a été publiée sous le titre de Traité plaisant de bon usage de vin dans La Revue du Musée du Royaume de Bohême en 1857 [4] par les soins de Václav Lebenský [5].
Nous savons peu de choses sur la vie de Martin Carchesius. La source d’informations principale est constituée par la correspondance qu’il a entretenue dans les années 1602-1610 avec Jan Campanus Vodňanský [6], professeur de grec et latin à l’Université de Prague.
Carchesius était originaire de Jablonné nad Orlicí, il était né au début des années quarante du XVIe siècle. Dans les années 1564-1600 il servit au Bureau des écritures de la Vieille Ville à Prague. Peu après il s’installa à Olomouc. Quand il mourut en 1612 ou 1613, il était un homme opulent ; son fils Tobiáš, également employé au Service des écritures de l’administration municipale de Prague, reçut en héritage “trois maisons en bon état”.
Pour autant qu’on sache, la seule réalisation d’ordre littéraire à laquelle s’adonna Carchesius fut la traduction. De son vivant fut publié “traduit de la langue allemande en tchèque” Le livre décrivant l’état et l’ordre de la ville afin de les sauvegarder durablement en leur substance (1602, sans mention d’auteur), puis l’écrit d’un médecin originaire de Mayence, Ferdinand Hesse, juif de naissance et prosélyte enflammé du christianisme, La nouvelle et très utile démonstration que Jésus Christ est Fils de Dieu et de la Vierge Marie, bénie entre toutes les femmes, le premier messie promis et envoyé (1603) et la traduction particulièrement réussie d’un original en langue allemande paru en 1587, L’Histoire de la vie du docteur Iohan Faustus, nécromant renommé, de ses notules diaboliques et sortilèges ainsi que de sa mort horrible, de ses écrits posthumes comme avertissement exemplaire pour les insolents et mécréants (1611).
Devons-nous considérer le Traité publié de façon posthume comme une traduction, une adaptation ou une variation sur un thème rabelaisien ? Le titre tchèque parle clairement pour l’existence d’un original (“...tiré des livres du médecin et éminent savant Rabelais à Lyon”). Václav Lebenský ne doute pas de la paternité de Rabelais, mais il suppose que le texte est une traduction de l’allemand : Carchesius a traduit quelques autres titres de l’allemand et, a contrario, sa connaissance du français n’est pas avérée. Mais son ignorance du français ne l’est pas davantage – tout du moins savons-nous qu’outre l’allemand, Carchesius connaissait “les langues latine et autres”.
L’hypothèse d’une “variation sur un thème rabelaisien”, esquissée en son temps par N. S. Troubetskoï [7] et reprise par A. L. Carbone [8] corrélativement à la publication italienne récente du texte [9], se révèle peu convaincante. En effet les livres de Rabelais n’étant pas connus dans la société érudite tchèque du début du XVIIe siècle, une référence mystificatrice à Rabelais serait tombée à plat. Bien au contraire, le Traité est la première trace tchèque de l’existence de l’auteur ; les traductions partielles de Gargantua et Pantagruel ne seront publiées qu’à l’extrême fin du XIXe siècle.
Olga Spilar