Narration et Histoire (Manuel P. Soleymat)

Publié le dimanche  11 mars 2012
Mis à jour le jeudi  26 décembre 2019

Narration et Histoire

Entretien avec Patrik Ourednik. Propos recueillis par Manuel Piolat Soleymat

La Terrasse n° 160, septembre 2008


« Abrégé de l’éternelle et inexorable stupidité humaine », Europeana s’élance comme une promenade facétieuse à travers l’histoire du XXe siècle. Patrik Ourednik revient sur la notion de vérité historique.


Quel rapport votre ouvrage entretient-il avec la vérité historique ?

Je crois que vérité historique et fiction sont des synonymes. L’Histoire n’a pas d’existence autonome, elle reste virtuelle tant qu’on ne lui donne pas une forme narrative. Il n’y a aucune vérité historique en dehors de ce que disent les historiens, les commentateurs, les témoins, vrais ou faux, oculaires et plus ou moins cataractiques – et les écrivains.

Europana ne s’intéresse pas à l’Histoire mais, justement, aux possibles descriptions, aux stéréotypes, aux lieux communs. “Lieu commun” est d’ailleurs une expression très juste : elle parle d’un lieu où les gens peuvent se retrouver en commun. Sans doute le seul.

Bien entendu, dire que la réalité historique n’existe pas en soi ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de temps historique, d’événements qui agissent sur les vies individuelles, otages de l’Histoire par excellence. Mais pour que l’événement devienne du “vécu”, de la “réalité”, il faut qu’il se recycle dans un lieu commun. Et qui dit recyclage dit fiction, tout en admettant que la fiction, pour exister, doit se référer à la vraisemblance, à ce qui ressemble au vrai... au moment où elle s’invente.

Et voilà, le tour est joué : nous devenons prisonniers d’un récit fictif (et vraisemblable) que nous cherchons à partager avec d’autres. Ce qui est à la fois libératoire – dans la mesure où cela permet le partage – et aliénant, car indispensable ; l’absence d’un tel récit rendrait la société ahistorique, autant dire révolue. C’est valable également sur le plan individuel : la non-adhérence à un des récits en vigueur est sanctionnée par la mort sociale.

Entre les deux – la libération et l’aliénation – il n’y a, je crains, aucune marge. La seule latitude que nous ayons consiste à nous efforcer d’être des prisonniers avertis, des esclaves éclairés. Ce qui ne serait déjà pas si mal.

Quel ton avez-vous souhaité donner à votre ouvrage ?

“Souhaiter” est sans doute un terme trop volontaire. Je m’étais imposé quelques contraintes formelles, j’ai cherché quelques astuces pour que la mécanique puisse se mettre en branle. À partir de là – le texte, une fois le cadre posé, doit agir seul. C’est lui qui gère et assume sa propre existence, ses propres souhaits : l’auteur n’est là que pour empêcher les éventuels abus.

Peut-on dire qu’Europeana est un texte politique ?

C’est une question à poser aux lecteurs, pas à l’auteur. Le politique, dans la littérature, est une affaire de réception.

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