Ivan Wernisch
Au jour d’hier
Éditions K, Paris, 1990
Translation © Patrik Ourednik
Les voilà !
Les voilà !
Trottinent les arpions,
sautille la vermine sur le palefroi,
derrière le cul se meuvent les bleus.
Derrière eux les yeux coulent,
derrière eux les dents roulent,
derrière eux les uns rampent,
derrière eux les autres galopent,
derrière les galopants certains hésitants,
puis d’autres différemment,
puis d’autres autrement.
Et cette vallée
s’appelle Josaphat.
Le cortège s’écoule, se perd
dans d’autres vallées, et d’autres encore
qui toutes portent ce nom.
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Les cavaliers n’avaient pas les corneilles dans leurs gibecières, elles étaient accrochées à leurs ceintures, et les chevaux avaient des vessies de poisson autour du cou, du sang de corneille s’écoulait sur les pantalons des cavaliers et il n’était pas encore noir.
Ils parlaient une langue dont je me souvenais et que j’avais due entendre dans mon enfance, ils parlaient lentement et ils se désignaient du doigt, car ils étaient sans nom. L’un d’eux me désigna, moi. Je voulus évoquer un mot de cette langue et soudain je le dis, sans m’en souvenir ; l’homme hocha la tête.
Il détacha du cheval une vessie de poisson et me la donna, ensuite tous dirent ce mot dont je ne me souvenais pas, ils tournèrent leurs chevaux et moi, je les regardais partir, sans éviter la forêt, et je me vis seul en cette fin d’automne, avec une vessie de poisson entre les mains.
Quand le soleil s’est éteint
Quand le soleil s’est éteint, y a pas à dire,
c’était pas si mal.
On s’rinçait l’avaloir,
on traînait, on bavassait,
les feuilles craquaient, les tilleuls brouillardaient,
des haillons, des os
roussissaient en tas.
On dévidait nos conneries
et ça sentait la fin d’l’été.
On s’était gouré. C’était la fin du monde.
Les pendus
de temps à autre le vent
nous branle la tête
oui oui oui
nous balance à la hâte
que nous nous balancions
balançant les bras
comme dans une marche hâtée
ou un balancement de voix
ainsi nous revivons là
confirmant tout affirmant à vie
depuis la consommation des siècles
oui oui oui
En désespoir de cause
Lorsque, en désespoir de cause, nous nous mettons en route, il nous faut oublier personne de ceux qui demeuraient dans notre maison, il faut fouiller l’écurie et les hangars et amener ceux qui étaient sans utilité et il faut chercher parmi eux celui qui saura charmer les serpents et celui qui saura demander le chemin et celui qui portera l’arme.
Lorsque, en désespoir de cause, nous nous mettons en route, nous ne devons pas ouoblier de trouver qulqu’un qui lira à haute voix et quelqu’un qui jouera avec nous aux jeux de chiffres et aux jeux de mots, quelqu’un aussi qui imitera les oiseaux.
Nous chargerons nos ânes d’un détecteur d’étoiles, d’un bdelliomètre, d’un xylophone, de cristaux à tromper les démons, d’une boîte de poudre à éternuer, d’un aigle empaillé, de tout ce qui est nécessaire pour accomplir le voyage.
D’un extendeur, d’un bâbordeur, d’un sextanteur, d’une théière, d’un guéridon,
Et de toi, mon amour, en désespoir de cause. Et quand ils pousseront ton âne, il ne faut pas que j’oublie de monter sur le mien... car il n’y a plus d’issue, tes papillotes cliquettent dans le vent, nous nous mettons en route !