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lundi 3 février 2014
par  NLLG

Le plaisir que suscite la lecture du Traité de bon usage de vin est tout d’abord attisé par la curiosité que l’on accorde à la nature même du texte qui fut traduit et publié en tchèque en 1622 par un certain Martin Kraus de Krausenthal et dont il ne reste que trois exemplaires. La traductrice, Marianne Canavaggio, a fort judicieusement opté pour une traduction qui ne cherche pas à restituer le texte original dans la langue de Rabelais. Elle a fait le choix « d’une langue compréhensible par tous mais portant l’écho de la syntaxe et du vocabulaire rabelaisien ». Cela donne par exemple : « Ne buvez jamais seuls. La compagnie de buveurs est une engeance hautement estimée et sa parole barytonante est d’un poids considérable dans les cercles des gendarmes. »

Traité de bon usage de vin se présente comme un petit traité de savoir-vivre, dans lequel Rabelais s’amuse à déplacer sur l’échelle des valeurs la place qui est accordée au vin. Pour ce faire, il use de tout son savoir-faire – jeu, farce, raillerie, mensonge, argotisme, détournements et sophismes – et d’un usage savant du langage et des traditions orales populaires. Le texte commence ainsi : « Mon estimé maître Pantagruel m’a prié de noter ici en fidélité et brièveté ce qui lui paraît digne d’être consigné pour le profit général de la corporation des buveurs pantagruelistes. Il se fût volontiers acquitté de cette plaisante tâche et eût gravé ces paroles en tables de pierre ; toutefois l’absorption de 184 646 bouteilles de vin d’Anjou ne rendit point sa langue moins habile que sa plume et son poinçon. » Rabelais parvient ainsi à déclamer une véritable éthique de la vie qui prône l’adoption d’une consommation de vin, érigée en vertu. Et va jusqu’à faire de l’usage du vin un attribut anthropologique majeur : « L’usage du vin, outre le verbe prolixe et la prière fervente, est de toutes les actions humaines ce qui le distingue des autres créatures terrestres. »

Ce Traité de bon usage de vin se révèle être une véritable ode épicurienne dans laquelle Rabelais libère ses aspirations émancipatrices et laisse entrevoir les mœurs qui ont cours parmi les habitants.