Lire (André Clavel)

Publié le jeudi  29 mars 2012
Mis à jour le dimanche  6 février 2022

Absurdités tchèques

André Clavel

Lire, avril 2012


Très oulipien, ce vrai-faux polar qui manie les quiproquos dans une intrigue burlesque.

Un vieux ronchon à la Léautaud. Une partie d’échecs à la Raymond Roussel. Des entourloupettes à la Perec. Un humour folâtre à la Bohumil Hrabal. Un sens de l’absurde digne du Brave Soldat Chvéïk. Une réflexion sur la « parole vaine » qui fait penser à Louis-René des Forêts. On mélange le tout, on secoue le shaker, on appelle Bouvard et Pécuchet à la rescousse, et on obtient l’inclassable Classé sans suite du Tchèque Patrik Ourednik. Né à Prague en 1957, ce traducteur de Rabelais a vu rouge toute sa jeunesse – pour cause de communisme – avant de devenir un as du samizdat, de se faire exclure de l’Université et de s’exiler en France, où il vit depuis trois décennies.

Son roman commence comme un thriller, dans les brumes de la Prague postsoviétique. Tous les ingrédients sont là – un viol, un suicide au gaz, des tentatives d’incendie, un meurtre non élucidé qui remonte à Mathusalem – mais, peu à peu, l’intrigue se détraque en une joyeuse pagaille où se mêlent fausses pistes, quiproquos et chausse-trappes : un petit jeu très oulipien face auquel le lecteur croit d’abord perdre son latin avant de se laisser embobiner par les facéties d’Ourednik, qui ne cesse de déverser sur son scénario les remarques narquoises que lui inspirent les absurdités de son époque. Tout ça sous le regard de Viktor Dyk, un vieux schnock misanthrope expert en parodies bibliques, et de Vilem Lebeda, un flic obèse qui tire de sa pipe des bouffées de fumée hilarantes.

Malgré ses pirouettes et ses acrobaties narratives, Classé sans suite n’a rien de gratuit. Car il cache une profonde méditation sur les limites du roman, sur les malentendus de la communication et sur les équivoques de notre langage : « un livre burlesque sur le rien », souligne Jean Montenot dans une postface qui donne toutes les clés de ce vrai-faux polar où, au passage, les compatriotes d’Ourednik en prennent pour leur grade. Exemple : « Arriver à exprimer son crétinisme avec toute l’autorité que cela suppose est, pour un Tchèque, l’ambition suprême. »