Patrik Ourednik, Classé sans suite
La Lettrie, 19 Août 2015
Tout à fait original. Rien à voir avec les romans policiers nordiques très en vogue aujourd’hui.
Voilà un auteur qui ne manque pas de toupet, ni de panache.
Ourednik joue beaucoup avec son lecteur ; on est dans une esthétique du roman qui peut faire penser à celle de Jacques le Fataliste.
« Lecteur ! Notre récit vous paraît dispersé ? Vous avez l’impression que l’action stagne ? Que dans le livre que vous tenez en main, il ne se passe au fond rien de très remarquable ? Gardez espoir : soit l’auteur est un imbécile, soit c’est vous ; les chances sont égales. (…) Vous vous demandez comment cette histoire va tourner ? Voilà, cher lecteur, ce que nous ne pouvons vous dévoiler. Nous avons entamé ce récit sans intention particulière ni pensées corrompues ; nous ignorons comment il finira, pourquoi même il finirait, nous en sommes au même point que vous, ou presque, puisqu’au moment où vous lisez ces lignes, notre tâche a pris fin, le livre a été publié ; vous avez engagé une partie de vos revenus dans l’espoir d’un retour sur investissement sous forme d’un quelconque bien spirituel. »
Le premier chapitre est constitué des coups d’une partie d’échecs, partie qu’on retrouve évidemment plus tard. Un peu comme dans Le Grand Sommeil de Chandler, et sa version ciné, le déroulement de l’intrigue (il y a un meurtre et quelques autres fariboles) et la recherche du coupable se perdent un peu en route… Jusqu’à la fin où… heu, non… je ne le dirai pas ! Mais attendez-vous à être surpris, très surpris…
Au-delà de l’intrigue, on a un regard amusé sur la société tchèque d’aujourd’hui, notamment les conflits entre l’ancien et le moderne, les changements profonds depuis 1989 : « Sous le régime précédent on ne faisait pas tant de chichis. »
L’auteur aime bien la mise en abyme : le personnage de Viktor Dyk « réfléchissait à un roman d’aujourd’hui qui dénoncerait par l’humour les désordres de la société moderne ». Il ajoute que « tout bien réfléchi la période moderne n’était pas plus désordonnée qu’une autre. »
Patrik Ourednik manie, en effet, très bien l’autodérision.
Dans un autre exemple de mise en abyme, un personnage lit un livre qui a en fait été écrit par l’auteur du roman dans lequel ce flic évolue. Or Ourednik ajoute : « Il se sentait déçu par le livre, il lui paraissait superficiel et peu crédible. »
Du panache, je vous dis.
L’autodérision peut aussi s’appliquer au peuple tchèque, dont on a l’habitude de dire que c’est l’une de ses caractéristiques, notamment depuis le Brave soldat Chveik.
« Najman était un spécimen si accompli de la connerie tchèque qu’on aurait pu l’exhiber dans les Expositions Universelles : jovial, trivial, populaire, passablement inculte, imperturbable et agressif. »
Ce rapide polar est un petit bijou dans lequel on se perd avec délice parce qu’il nous renvoie une certaine image de notre époque. Et parce que la construction en est jubilatoire.