Flaubert et Ourednik : Histoire en farce (Florence Pellegrini)

vendredi 25 janvier 2013
par  NLLG

Extrait consacré à Europeana tiré de l’étude de Florence Pellegrini, présentée à l’École normale supérieure le 2 avril 2011 dans le cadre du Séminaire Flaubert, et publiée dans Flaubert, l’Empire de la bêtise, éditions Cécile Defaut, Nantes, 2012.

Le texte entier, tenant compte d’autres oeuvres de Patrik Ourednik, est disponible ici.


Flaubert et Ourednik : Histoire en farce

Florence Pellegrini

Séminaire Flaubert 2010-2011
L’Empire de la bêtise
ENS, le 2 avril 2011


Dans la littérature contemporaine héritière de Flaubert — pas « ouvertement […] héritière », tant « il fut tout un temps, récent, où l’on ne reconnaissait guère de dettes, ou bien timidement à l’égard de ceux qui refusaient de transmettre […], un temps qui voulait en finir avec la généalogie, avec la logique de la succession » [1] — Tiphaine Samoyault trace des lignes de partage et distingue trois tendances : la « ligne Bouvard et Pécuchet », qui, à la suite de Queneau et Perec, est « à la fois celle de l’encyclopédie et de la bêtise, celle du savoir et de l’idiotie » [2] ; la « ligne Éducation sentimentale », qui est tracée par « la mélancolie des paquebots et un rapport déçu à l’histoire », qui engendrent des récits de « l’éloignement du faire », aux héros désorientés « peu sûrs de leur identité voire menacés par la dissolution, des Frédéric qui auraient intériorisé l’histoire à venir et se seraient radicalisés avec elle et en elle. » [3] ; la « ligne Madame Bovary », enfin, qui serait caractérisée par « une tendance de l’écriture à l’extase et à l’engloutissement. » [4]

C’est sans doute à la première « ligne », à la suite de Queneau et Perec, qu’il revendique comme influences directes, qu’il faudrait rattacher le travail de Patrik Ourednik.

De Année vingt-quatre, son premier récit de fiction publié en 1995 directement inspiré par Je me souviens à Ad acta [Classé sans suite], son dernier roman, sorte de « tentative d’épuisement d’un lieu praguois » parodique, faux polar et vraie satire, dont le protagoniste, Viktor Dyk, est un veuf collectionneur de coléoptères qui ne s’exprime que par fausses citations bibliques, les textes de Patrik Ourednik sont tous marqués par la fascination des listes et la manie de l’accumulation qui se fixe singulièrement sur les discours rapportés. Collection de perles, tour à tour ineptes, cocasses, inquiétantes, énigmatiques ou tout ceci à la fois, que le texte empile sans hiérarchie ni différenciation, Europeana [5] se situe quelque par entre Candide — pour la fausse naïveté du ton et l’ironie qui perce sous l’ingénuité —, et Le Dictionnaire des idées reçues, auquel ils ne manquent pas d’ajouter quelques articles.

« Il se peut que j’aie une oreille sensible pour les stéréotypes et la langue vide de sens et que je sois capable de reproduire cette langue en tenant compte du fait que cette langue vide de sens n’est jamais tout à fait vide, car il y reste toujours des résidus d’idées et d’idéologies se rapportant à des choses qui, au début, pouvaient être vivantes. » [6]

Ainsi parle de lui-même Ourednik dans un entretien accordé à Radio Prague en mars 2002. De fait, préférentiellement dans Europeana où la prolifération des discours du et sur le XXe siècle le dispute à la construction factuelle d’une histoire en mode mineur, le travail d’Ourednik fait saillir le lieu commun, « seul lieu où [affirme-t-il] les gens puissent se retrouver en commun », pour mieux le combattre : non pas frontalement, sous risque d’échec, mais insidieusement, de façon à y introduire des « failles » qui produiront son effondrement temporaire : « Car le stéréotype est sournois : si vous voulez le combattre, il faut être plus sournois que lui. […] à l’instar d’un régime totalitaire, le stéréotype ne peut être attaqué frontalement. Il s’agit d’abord d’y introduire des failles, patiemment, obstinément. Et puis, un beau jour, il s’écroule ; suit alors une brève période de liberté, c’est-à-dire d’anarchie — quelques jours ? quelques semaines ? —, puis il est remplacé par un autre ; et vous repartez à zéro, si vous en avez encore la force, si vous n’êtes pas trop dégoûté. Sisyphe, le dernier héros absurde. » [7]

***

Il y a du Bouvard et Pécuchet [8] dans l’entreprise de Patrik Ourednik. Tant dans sa façon de travailler, marquée par une forme d’encyclopédisme, la passion des catalogues et des nomenclatures, que dans cette façon de restituer et d’empiler les discours constitués d’une époque. Europeana, ce sont des opinions diffuses et nivelées dans le désordre de l’énumération comme dans un muséum-croutéum [9] où le siècle passé et ses bouleversements se figeraient en une compression délirante de fragments de la Bibliothèque mondiale, rayon « histoire », ou « politique », ou « psychanalyse », ou « appareils électroménagers », c’est selon.

Des « historiens » qui « disent » — et qui ne disent pas tous la même chose [10] — aux « anthropologues » et aux « philosophes » (p. 141) en passant par « les jeunes gens » (p. 102), les « gens » tout court (p. 16), « on » ne sait qui, le texte fait entendre une multitude de voix dont la multiplicité s’efface dans d’indistinction formelle : stylistiquement homogènes — énonciation distanciée ou dépersonnalisée, utilisation minimale de la ponctuation (aucune virgule, aucun point-virgule, aucune ponctuation expressive), parataxe et clausule non conclusive par le « et » ou le « etc. » —, les énoncés rapportent sur le mode constatif espoirs et croyances d’une époque, peurs et jugements, tentatives explicatives et dogmes de tout crin [11].

La syntaxe si particulière de l’édition française est donc le fruit d’un travail progressif, concerté, entre Marianne Canavaggio, la traductrice, et Patrik Ourednik. La disparition des virgules, en particulier, relève d’une tentative de restituer « la syntaxe lâche » de la langue tchèque où la virgule à un rôle moins stylistique que normatif et où la période, plus ample, permet d’enchaîner presque à l’envi les propositions les unes à la suite des autres. La syntaxe plus resserrée du français a conduit, d’une part, à la suppression des virgules, d’autre part à l’allongement de la phrase, pour tenter de rendre compte de la continuité du flux verbal, qui est la caractéristique majeure du texte. La présence — massive — des conjonctions est le fait des deux langues. Quant au « et », qui articule dans le texte français les différents termes de l’énumération, mais que l’on retrouve également en fin de période ou en ouverture de phrase, il participe d’une « relance rythmique » [12] et d’un redéploiement discursif, qui est parfois une réorientation. Selon les cas, la coordination empile du même ou de l’hétérogène, extrait de l’homogène à des fins de mise en relief — « coordination emphatisante » — ou s’ouvre à l’altérité pour mieux la congédier. Je fais ici référence à la description du fonctionnement de « et » — mais également des connecteurs « mais, ou, ni » — donnée par Claire Badiou-Monferran dans son article « Coordonner : (qu’)est-ce (qu’)ajouter ? » [13] et dont j’ai montré par ailleurs [14] combien elle pouvait être opérante pour Bouvard et Pécuchet.

On a dit de la Première Guerre Mondiale que les gens y tombaient comme des graines et les communistes russes ont calculé combien un kilomètre de cadavres pouvait donner d’engrais et combien ils économiseraient en coûteux engrais étrangers s’ils se servaient des cadavres de traîtres et des criminels. Et les Anglais inventèrent les chars d’assaut et les Allemands un gaz qu’on a appelé ypérite parce qu’ils l’auraient utilisé pour la première fois près de la ville d’Ypres mais on a dit plus tard que ce n’était pas vrai. (p. 7)
Certains historiens ont dit plus tard que le vingtième siècle n’avait en fait commencé qu’en 1914 quand la guerre avait éclaté parce que c’était la première guerre de l’histoire où il y avait autant de pays engagés et autant de morts et où les dirigeables et les aéroplanes bombardaient l’arrière et les villes et les populations civiles et les sous-marins coulaient les bateaux et les canons tiraient par-dessus les lignes à douze kilomètres de distance. (p. 8-9)
Mais d’autres historiens disaient qu’en réalité le vingtième siècle avait commencé plus tôt lorsqu’avait éclaté la révolution industrielle qui avait bouleversé le monde traditionnel avec l’invention des locomotives et des bateaux à vapeur. (p. 10)
À la fin du dix-neuvième siècle les gens des villes attendaient le siècle nouveau avec impatience parce qu’ils avaient le sentiment que le dix-neuvième siècle avait tracé les voies sur lesquelles l’humanité allait s’engager résolument et que dans le futur tout le monde pourrait téléphoner et voyager sur des bateaux à vapeur et se déplacer en métropolitain et prendre des escaliers roulants munis de rampes mobiles et se chauffer avec du charbon de qualité et prendre des bains une fois par semaine et communiquer ses pensées et ses désirs à travers l’espace et à la vitesse de l’éclair grâce au télégraphe électromagnétique et à la télégraphie sans fil. (p. 16)
À la fin du vingtième siècle les gens se demandaient s’ils devaient fêter le début du nouveau millénaire en 2000 ou seulement en 2001. (p. 19)
Et certains disaient que la fin du monde était pour bientôt tandis que d’autres disaient qu’elle était pour plus tard. Et les anthropologues disaient que l’idée de fin du monde était importante pour les individus et la collectivité parce qu’elle permettait d’évacuer la peur et l’agressivité et d’accepter sa propre mort. Et les psychologues disaient qu’il importait que l’individu décharge son agressivité et que le mieux était de pratiquer la compétition sportive parce qu’elle permettait de décharger son agressivité et faisait beaucoup moins de morts que la guerre. (p. 28)

Les causalités implacables s’enchaînent — le texte est saturé de « parce que » —, vaines justifications que l’effet de masse renverse. Europeana se donne ainsi à lire comme un catalogue de lieux communs historiques — non pas faits historiques mais discours tenus sur l’histoire — dont on aurait effacé à la fois l’origine et la hiérarchie. Discours réduits et répétés, bêtes dans leur fixité et leur concision simplificatrice, qui se pressent et s’accumulent et dont les apostilles font saillir, formes de « concrétions de concrétions » à l’usage des lecteurs débutants, le dérisoire et le grotesque : « La nature est perverse », « L’homme est en fait un singe » (p. 96). Chaque page présente, en effet, une, parfois deux indications marginales, placées en regard du texte et avec lequel elles entrent en rapport thématique : ces indications fonctionnent alors — ou prétendent fonctionner — comme un vademecum pour la lecture, le modèle éditorial retenu étant celui du manuel de vulgarisation scientifique. Intertitres pédagogiques et parodiques — ou ironico-pédagogiques —, les indications marginales concentrent l’essentiel du cliché qu’à la fois elles désignent et rappellent. « Concrétions », car il s’agit déjà, dans le style formulaire et ramassé du cliché, d’une solidification et d’une désignation, un peu à la façon dont Merleau-Ponty parle de la perception des couleurs, et du rouge et du vert comme des « concrétions de paix ou de violence » [15]. « Concrétions de concrétions » car il s’agirait, dans ces syntagmes figés au statut variable — car il y a plusieurs catégories dans ces excroissances discursives — d’un cliché réduit à son noyau dur. Une concrétion en termes de discours pourrait être cette formule minimale qui résiste et qui transite. Un résidu de propos tenus, entendus, répétés, circulant partout et dont on aurait qu’à convoquer la forme la plus réduite pour faire resurgir le bataillon d’idées reçues associées. Quelques listes d’exemples, et une tentative de catégorisation :

 Énoncés thématiques 1 (article défini + substantif + complément de détermination)

Le positivisme (p. 14) ; La fin du monde (p. 19, 29) ; L’homme nouveau (p. 27) ; La disparition des valeurs, Le sens de la collectivité (p. 34) ; La qualité de vie (p. 107) ; Le règne de la paix (p. 108) ; L’imaginaire social (p. 123) ; L’identité sociale (p. 149) ; La fin de l’histoire (p. 150)

 Énoncés thématiques 2 (substantif + complément de détermination)

Marches militaires (p. 8) ; Réalité virtuelle (p. 16) ; Profond désaccord (p. 20) ; Délivrance de la matière (p. 39) ; Éléments asociaux (p. 40) ; Citoyens inadaptables (p. 53) ; Mise en garde des générations (p. 56) ; Grande roue (p. 57) ; Conservation de la mémoire (p. 58) ; Problèmes d’érection (p. 62) ; Crises morales (p. 92) ; Langue universelle (p. 112) ; Conceptions étriquées, Trou noir (p. 140) ; Organisation de la mémoire (p. 147)

 Énoncés proverbiaux (assertions au présent gnomique)

Le monde court à sa perte (p. 10) ; L’ordre est né du chaos (p. 14) ; Les femmes sont des êtres humains (p. 18) ; Le monde est corrompu (p. 33) ; Dieu existe (p. 38) ; Les stérilisations ne servent à rien (p. 54) ; La jeunesse est stupide (p. 88) ; La mémoire n’est pas constitutive (p. 101) ; Le fascisme est universel (p. 132) ; L’art appartient à tous (p. 132)

 Énoncés actionnels (construits autour d’un noyau verbal généralement à l’infinitif)

Tirer les leçons du passé (p. 17) ; En avant (p. 21) ; Comment optimiser l’homme (p. 32) ; Préserver l’intégrité du noyau (p. 40) ; Interpeller les jeunes spectateurs (p. 65) ; Apprendre à penser autrement (p. 97) ; Revenir aux racines (p. 102) ; Vivre en harmonie (p. 103) ; Se tourner vers l’avenir (p. 132)

Notions (« Le positivisme »), lois (« Dieu existe », « La jeunesse est stupide »), règles (« Préserver l’intégrité du noyau »), tour à tour injonctives (« Tirer les leçons du passé », « En avant ») ou explicatives (« Comment optimiser l’homme »), ces formules égrainent en marge du texte principal la litanie des croyances partagées. Mises bout à bout, elles constituent, dans un raccourci saisissant, une représentation syncrétique à la manière dont la juxtaposition des discours de savoir antagonistes participe, dans Bouvard et Pécuchet, de leur nivellement et de leur démystification.

À ces occurrences que caractérise un haut degré de généralisation et d’abstraction, il faut ajouter les variantes plus prosaïques et contextualisées qui fonctionnent sur le même modèle. Ainsi, au « Catalogue des thématiques reçues », on adjoindra :

La Grosse Berthe (p. 13) ; L’invention de la contraception (p. 18) ; L’invention du soutien-gorge, Le niveau des nappes phréatiques (p. 25) ; L’utilisation des gaz de combat (p. 31) ; Le soldat inconnu (p. 42) ; La Veuve Joyeuse (p. 44) ; La race aryenne (p. 46) ; Les poupées à zizi (p. 60) ; La consommation du tabac à priser, Le millénium (p. 80) ; Les conjurés (p. 81) ; Le télégraphe (p. 116) ; Le sperme de qualité supérieure (p. 117)

Et les aphorismes au présent de vérité générale — type : « Arbeit macht frei » (p. 71) — se doublent d’énoncés construits sur le même schéma mais aux temps du passé (alternance imparfait/passé simple), énoncés plus ou moins abscons, plus ou moins hermétiques selon les cas et la clarté de l’allusion qu’ils recèlent :

Les Anglais inventèrent les chars (p. 7) ; Les Allemands inventèrent le gaz (p. 9) ; Les hommes étaient au front (p. 21) ; Ceux qui connaissaient le crawl (p. 21) ; Les médecins éclairaient la population (p. 24) ; Le vent échevelait les épis (p. 64) ; Les avis divergeaient (p. 67) ; Les écuries furent détruites (p. 91) ; Les Américains voulaient destituer leur président (p. 98) ; L’interprète était en permission (p. 112)

***

« Il y a au moins trois façons de lire Europeana », souligne Bernard Quiriny dans une critique parue en 2004, lors de la publication de la traduction française [16]. « La première, qui nécessite quelques minutes seulement, consiste à ne lire que les petites phrases placées en marge, sur le bord de la page. Tirées du texte lui-même [mais pas tout à fait puisque les apostilles sont une réduction synthétique et lapidaire du texte], vis-à-vis duquel elles jouent le rôle de repères parodiques, elles forment une sorte de faux manuel scientifique à la poésie naïve et loufoque, comme un dictionnaire des lieux communs historiques dont on aurait effacé les définitions. La deuxième, plus sérieuse, consiste à lire le texte lui-même : un texte dont Ourednik a voulu faire “Une brève histoire du vingtième siècle” (c’est le sous-titre), ce qui, en 151 pages de petit format, tient à première vue de l’exploit. L’idée d’Ourednik est cependant géniale : pour tracer la carte de ce siècle et en déterminer les moments les plus importants, il a simplement laissé venir à lui, en vrac, des centaines de faits historiques de toutes natures, relevant de l’anecdote négligeable pour les uns, de la statistique cruciale pour d’autres. Mêlés et ressassés dans un texte litanique et hétéroclite, ils formeront des grumeaux dont les plus gros correspondront aux moments clefs du vingtième siècle occidental (et européen en particulier). C’est ainsi que Patrik Ourednik évoque, dans un style descriptif où les “et” se multiplient à l’envi (mettant ainsi sur un pied d’égalité, dans une seule et même phrase, cinq ou dix faits n’ayant à peu près rien à voir les uns avec les autres), l’émancipation de la femme et l’invention de l’escalator, le bug du millénaire et l’attentat de Sarajevo, l’électricité et le soutien-gorge, Buchenwald et le positivisme, la Kolyma et l’éducation des enfants, la Croix Rouge et le messianisme bolchevique. […] la troisième consiste bien sûr à lire en même temps le texte et ses annotations en marge pour profiter de leurs effets cumulés. Rires garantis, malaise probable […]. »

Le rire, d’un côté, parce que, dans ce ressassement perpétuel qui voit revenir, à intervalles rapprochés, les mêmes formules qui se nuancent d’une infime variation, il y a le jusqu’au-boutisme de l’idée fixe que n’aurait renié ni Bouvard ni Pécuchet : pensée bête et sans nuance qui balaie tout sur son passage et s’attache à un objet exclusif au détriment de tout autre, qu’il s’agisse de métaphysique (« la métaphysique revenait. Elle revenait à propos de la pluie ou du soleil, d’un gravier dans leur soulier, d’une fleur sur le gazon, à propos de tout », p. 289-290), de phallus celtiques (« — et, pour Bouvard et Pécuchet, tout devint phallus », p. 165) chez Flaubert, ou du millénium et de l’émancipation féminine chez Ourednik.

Effets de reprises et de symétrie participent d’un comique de répétition où la progression s’effondre dans l’identité. Ainsi de ce parcours rapide de l’histoire du cinéma de l’après-guerre ou de l’histoire de l’érotisme, au choix :

Dans les années cinquante, les héros de films s’accouplaient surtout dans des champs de blé parce que les champs de blé respiraient la jeunesse et la vie nouvelle qui attendait les jeunes héros et le vent échevelait les épis [en apostille : « Le vent échevelait les épis »] et le soleil se couchait lentement et les seins des femmes se gonflaient. Dans les années soixante les héros de films s’accouplaient surtout dans le ressac au bord de l’océan parce que c’était romantique et le sable leur collait à la peau et on voyait leur derrière et au-dessus de la mer une brume brasillait dans le soleil couchant. Dans les années soixante sont aussi apparus les premiers films pornographiques dans lesquels on s’accouplait presque tout le temps en divers lieux. Dans les années soixante-dix les héros s’accouplaient surtout dans des automobiles parce que c’était original et que la vie s’accélérait [en apostille : « La vie s’accélère »] et les jeunes spectateurs n’ayant pas encore d’automobile pouvaient s’imaginer ce qui les attendait dans la vie. Et de plus en plus souvent les hommes se retrouvaient dessous et les femmes dessus parce qu’entre-temps elle s’étaient émancipées. Et dans les années quatre-vingt est apparu le sexe au téléphone et les hommes appelaient divers numéros où des femmes leur disaient dans l’écouteur JE SENS QUE JE MOUILLE ou ENFONCE-LA MOI BIEN PROFOND ou TU ME FAIS GOÛTER DIS ? etc. (p. 64-66)

Rire d’un côté, mais malaise également, dans une forme particulière de ce « grotesque triste » dont Michel Crouzet [17] a caractérisé l’écriture flaubertienne, puisque les faits majeurs de l’histoire du siècle subissent la même réduction dévastatrice, depuis les atrocités des deux conflits mondiaux jusqu’aux abjections des totalitarismes et autres génocides. Dans une forme d’irrespect, Europeana traite en aplat la grande et la petite histoire, le tragique et l’anecdotique, l’infime et l’innommable.

« De ce bric-à-brac surréaliste émergent inexorablement une poignée de temps forts qui, par l’effet de la répétition, finissent par prendre leur véritable importance dans le magma indifférencié des faits : ce sont les deux guerres mondiales, les totalitarismes et leurs carnages de masse, les idéologies (scientisme, communisme, fascisme, nazisme, humanisme), pour l’essentiel […] Les synthèses radicales auxquelles se livre l’auteur pour faire tenir en une phrase l’histoire du vote des femmes, la conception nazie de l’art dégénéré ou les débats sur la discrimination positive, entraînent inévitablement des raccourcis hilarants [et j’ajouterai angoissants] ; en abordant tout ce qui lui tombe sous la main avec ce même décalage naïf et ironique, Ourednik simplifie l’histoire jusqu’à la rendre dérisoire, se moquant des idées reçues en les accumulant au kilomètre. C’est tout le rapport d’une société à son histoire qu’il interroge finalement dans ce minuscule livre-monstre aux effets dévastateurs, la manière dont elle interprète le passé (ici, en ne l’interprétant jamais), l’importance qu’elle donne aux événements en fonction de sa grille de lecture et de ses priorités imaginaires (ici, en ne donnant d’importance à rien). » [18]

C’est la logique implacable du pignouf, dont Philippe Dufour a décrit les mécanismes [19], une logique du « tout se vaut » « ou plutôt, car chaque élément est emporté par l’effet de liste, d’un “rien ne vaut” » [20] : de l’emballement chaotique de l’énumération à la fausse clôture du etc. qui, sous couvert d’exhaustivité, pointe son inaptitude à tout embrasser, le texte d’Europeana concentre, c’est-à-dire à la fois rassemble et réduit, les propos et les pensées communs. Lorsque l’on interroge Patrik Ourednik sur l’écriture de son texte, il parle du « besoin de précipiter », que j’entendrais comme verbe, nécessité d’accélération et de heurt violent, mais également comme substantif, au sens chimique du terme, ce « corps insoluble formé par réaction entre deux ou plusieurs substances en solution, ou par action physique sur une substance en solution. » [21] Ce sont les « grumeaux » qu’évoque Bernard Quiriny et qui forment un conglomérat déstructuré de lieux communs tour à tour racistes, sexistes, passéistes, progressistes, millénaristes, scientistes— tous les –istes et les —ismes étant à un moment ou à un autre convoqués — uniformément catégoriques et inquiétants. Mis bout à bout, ils égrainent une mélopée monocorde dont on ne s’extrait jamais que partiellement, sporadiquement ; la mise à distance totale est impossible, car il y a toujours, dans la masse des propos restitués, ce bref moment où l’on reconnaît, sinon une phrase que l’on aurait pu dire, au moins une chapelle que l’on a pu fréquenter : « L’ensemble serait formidable comme plomb. Il faudrait que, dans tout le cours du livre, il n’y eût pas un mot de mon cru, et qu’une fois qu’on l’aurait lu on n’osât plus parler, de peur de dire naturellement une des phrases qui s’y trouvent. » [22]

Le programme du Dictionnaire des idées reçues tel que le présente Flaubert à Louise Colet dans une lettre du 16 décembre 1852, peut, jusqu’à un certain point, convenir à Europeana. Juxtaposition d’éléments hétéroclites qui restituent un air du temps, relatif et transitoire, avant que d’être emportés par une nouvelle vague insinuante de poncifs accolés, le texte découd les stéréotypes — en découd avec les stéréotypes — en les assemblant, le montage fonctionnant alors comme procédure démystificatrice. La « brève histoire du XXe siècle » qui se dessine alors est celle d’une collection de préjugés successifs, permutables, réversibles, et dont la multiplicité défait la vérité.

Et les Espagnols dansaient le flamenco et les Tziganes lançaient des regards noirs et les Russes étaient arrogants et les Suédois pragmatiques et les Juifs rusés et les Français insouciants et les Anglais prétentieux et les Portugais attardés. Mais l’essor de la société de consommation et des moyens de communication a peu à peu uniformisé la vie des gens en Europe et certains sociologues et historiens ont estimé qu’on ne pouvait plus penser en termes de nationalités et ils disaient que le trait saillant de la société occidentale développée était le cosmopolitisme et que les Allemands ou les Roumains ou les Suédois etc. n’existaient pas et que ce n’étaient que des auto-projections de préjugés et de stéréotypes sociaux. Mais d’autres sociologues ne partageaient pas cet avis et disaient que l’essor de la société de consommation avait fait perdre aux gens la plupart de leurs repères et que la communauté nationale était devenue plus importante. Et que les stéréotypes étaient indispensables à la conservation de la mémoire collective et historique sans laquelle la société occidentale perdrait son unité culturelle car l’unité ne pouvait pas ne pas être hétérogène. (p. 149)

***

Participant, en mai 2009, à une Soirée littéraire de la Représentation en France de la Commission européenne Patrik Ourednik exposait à la fois sa conception de la littérature et de ce que devrait être sa fonction, sa spécificité en regard de l’histoire, ainsi que l’objet de sa propre écriture :

Ce qui m’intéresse dans l’écriture — dans celle des autres comme dans la mienne —, c’est ce qu’on appelle d’habitude la « vérité d’une époque ». Ce terme est bien entendu extrêmement vague car dans toute époque existent et coexistent des vérités différentes, des vérités multiples. Le jeu consiste alors à essayer de rassembler, d’embrasser cette multitude, ce pluriel des choses. Un auteur a à sa disposition différents moyens, le plus fréquent étant la confrontation des destins, des vies humaines dans l’optique de la microhistoire.
Quant à moi j’essaie, dans certains de mes livres du moins, d’appliquer un principe un peu différent, en partant de la prémisse qu’il est possible de prendre comme synonyme de la « vérité d’une époque » la langue de cette époque, autrement dit de s’emparer d’un certain nombre de tics langagiers, de stéréotypes et de lieux communs et de faire en sorte qu’ils agissent et qu’ils se confrontent au même titre que les personnages d’un récit traditionnel.
Tout comme les historiens les auteurs travaillent avec des écrits — chroniques, correspondance, journaux d’époque, etc. Ces écrits, on peut les aborder de deux manières. Soit — c’est ce que font les historiens, on peut y chercher avant tout (pas forcément exclusivement, mais en priorité) l’information sur l’événement lui-même, « que s’est-il passé », « qu’est-il advenu ». Ou alors nous pouvons y chercher en priorité la façon dont l’événement est traité. Autrement dit, il ne s’agit plus, dans cette perspective, de savoir qui a gagné la bataille de Waterloo, mais de voir comment les chroniqueurs l’ont décrite. La vérité de l’époque est dans la description, pas dans l’événement lui-même. Dans la réaction, pas dans l’action. Les destins humains suivent la même trajectoire : nous nous constituons à travers l’interprétation que nous donnons de tel ou tel événement.
Tout cela est en réalité assez banal — tout comme les stéréotypes qui nous permettent d’exister. Personnellement, j’ai tendance à croire que la vie humaine est en soi d’une banalité affligeante — quelles que soient par ailleurs toutes les horreurs qui peuvent nous arriver dans l’espace d’une vie. Mais justement — exprimer la banalité en littérature est assez délicat. Très paradoxalement la banalité est invraisemblable tant que nous ne la mettons pas en forme : et c’est là qu’intervient aussi bien l’historiographie que la littérature. [23] Dans les deux cas le contenu, synonyme supposé de la réalité, n’a aucune existence. Le contenu est un tas de sable virtuel et pour en tirer une quelconque réalité, nous devons d’abord le tasser dans un seau, l’arroser de l’eau et en faire un pâté. C’est toujours le même tas de sable mais entre temps il est devenu, selon les cas, manuel d’histoire ou œuvre littéraire. Dans les deux cas on fait appel, consciemment ou pas, à des stéréotypes, à des lieux communs, parce que justement, le lieu commun est le seul lieu où l’on peu se retrouver en commun.
Les destins humains ont beau être banals, ils ne sont pas interchangeables. Le problème de la littérature, c’est quelle consiste à englober les choses dans une structure plus ou moins préméditée, dans une architecture qui inévitablement comporte une hiérarchisation. Or s’il y a une chose au monde qui devrait bien échapper à toute hiérarchisation, ce sont bien les vies humaines et les destins individuels. Les stéréotypes — mes chers stéréotypes — sont, eux, interchangeables, tout en laissant apparaître, de par même leur simplification insupportable, une autre vérité, une autre expérience, un autre destin. [24]

« Vérité d’une époque » que l’on retrouve dans sa « langue », dans la « description » de l’événement ou plus exactement dans la narration que l’on en fait et dans les modalités de représentation que l’on met en œuvre, « tas de sable virtuel » de la réalité qui ne prend corps et sens que par le « pâté » que constitue le texte : la littérature selon Ourednik est essentiellement mise en forme d’une réalité fuyante, « éclatée », « dispersée » et la prégnance textuelle du stéréotype participe, dans le même temps, du rappel d’une illusion constituée et de son « démontage ». Il est difficile de ne pas penser ici à l’épisode de la biographie du duc d’Angoulême dans lequel Bouvard et Pécuchet font l’épreuve de cette réalité labile, instable, que la forme fragmentée, « éclatée » du récit restitue : dans la mise en scène des processus de l’écriture historiographique, l’épisode du chapitre IV donne à voir la mouvance du récit historique qui, ajoutée à l’incertitude factuelle, participe d’une crise de la vérité. Sans dénier à l’histoire sa légitimité et sa force épistémique, Bouvard et Pécuchet en borne les frontières et en relativise la portée.

Ce que la fiction romanesque donne à lire, dans les atermoiements et les renoncements bouvardo-pécuchetiens, c’est la limite du discours historique : incapable d’atteindre le vrai, repoussé hors des limites du dicible, l’historiographie impose l’autorité sous couvert de causalité. Échec théorique, donc. Mais réussite esthétique. Ou, dans l’ambiguïté de cette falsification assumée que constitue l’intégration narrative d’une logique démystifiée, proposition d’une alternative d’ordre poétique : l’épisode de la biographie du duc d’Angoulême met en scène, dans sa fragmentation même et la discontinuité de son écriture, la faillite d’une histoire cohérente et restauratrice d’ordre, mais accueille, progressivement, une restitution du réel dans son hétérogénéité et sa complexité. Il y a quelque chose de cet ordre, dans cette chambre d’échos qu’est Europeana, caisse de résonance où circulent et s’affrontent les voix concurrentes et pourtant semblables des discours prégnants. La restitution de la « rhétorique » et de la « syntaxe » d’une époque — en l’occurrence le XXe siècle — est ce « procédé » par lequel Ourednik « fabrique » — c’est-à-dire restitue et expose — « la réalité ».

L’idée de ce livre [explique Ourednik] a été de concevoir le vingtième siècle non pas comme un thème ou une thématique mais comme figure littéraire. Je m’étais demandé s’il était possible de mettre en scène un laps de temps donné sans avoir recours aux schémas habituels, un récit plus ou moins intimiste ou pour le moins individualisé. Qui dit pas de personnage, dit, si possible, pas de narrateur non plus. Il m’a semblé que c’était possible à condition que la langue, que le langage, que le discours eux-mêmes deviennent leurs propres narrateurs. De ce point de vue, il y a trois narrateurs dans ce livre. Puisque, phase suivante, je m’étais posé la question de savoir quels seraient éventuellement les trois mots […] qui reflèteraient, exprimeraient le mieux possible ce laps de temps donné.
J’avais pensé tout d’abord au chaos mais je l’ai aussitôt rejeté, le chaos étant propre à l’Histoire dans son ensemble et n’étant pas spécifique qu XXe siècle. Mais ce mot m’a amené à un autre qui m’a paru tout à fait adapté à savoir la précipitation (cette précipitation, cette accélération que j’évoquais précédemment). Je crois que ce siècle a été en effet plus précipité que d’autres. Ce qui pour moi voulait dire essayons d’écrire un texte précipité. Second mot-clé, l’infantilisme — qui est une autre particularité, me semble-t-il, du XXe siècle, avec tout ce que ça implique, depuis cette image romantico-marchande de la juvénilité jusqu’au refus d’assumer ses faits et gestes. Pour moi, cela voulait dire, essayons d’écrire un texte enfantin [on pense à Candide], un texte qui aurait pu être finalement dicté par un gamin récitant sa leçon au tableau ou par un idiot du village. Et puis, troisièmement, ce siècle a été scientiste : introduisons donc un vocabulaire vaguement scientiste si possible dans toute sa vacuité. Ce sont ces éléments-là qui ont donné au livre sa forme [discursive] et son contenu, ce sont ces éléments-là qui en sont, non les personnages, mais les trois narrateurs. [25]

La forte discursivité du texte explique sans doute son succès théâtral : avec plus ou moins de bonheur, avec plus ou moins de pertinence interprétative, le « récit de paroles » d’Ourednik (la catégorisation du texte n’est pas réductible à un seul genre) a été a de nombreuses reprises adapté à la scène. Fausse bonne idée peut-être, car si le texte se donne à lire comme un collage, un assemblage aléatoire de discours, il joue essentiellement sur l’indétermination énonciative et l’indifférenciation. Comment, dans ce cas, proposer, sans être dans le contresens, une incarnation dans un ou plusieurs personnages, incarnation qui suppose une caractérisation, partant une typisation ? La démarche semble aller à l’encontre de l’effet d’indistinction et de nivellement que produit l’écriture d’Ourednik. Car si c’est le discours scientiste « dans toute sa vacuité » qu’il nomme et identifie comme cible programmatique — ou dans une reconstruction a posteriori de sa démarche, voir Raymond Roussel Comment j’ai écrit certains de mes livres ou, versant oulipien, Marcel Benabou Pourquoi je n’ai écrit aucun de mes livres —, c’est l’ensemble des discours constitués et contraints qu’il brocarde en en soulignant la diffusion et le pouvoir contaminant.

***

« Il y a dans toute énumération deux tentations contradictoires ; la première est de tout recenser, la seconde d’oublier tout de même quelque chose ; la première voudrait clôturer définitivement la question, la seconde la laisser ouverte ; entre l’exhaustif et l’inachevé, l’énumération me semble ainsi être, avant toute pensée (et avant tout classement), la marque même de ce besoin de nommer et de réunir sans lequel le monde (“la vie”) resterait pour nous sans repère : il y a des choses différentes qui sont pourtant un peu pareilles ; on peut les assembler dans des séries à l’intérieur desquelles il sera possible de les distinguer. » [26] Telles sont les « joies ineffables de l’énumération » qu’évoque Georges Perec dans Penser/Classer. Joie ineffable, certes, si l’on considère le versant euphorique de l’alternative et la tentation de totalité qu’elle recèle. Joie en demi-teinte, pourtant, si l’on s’attache à l’infini abyssal sur lequel elle ouvre.

Patrik Ourednik a cette tentation de l’exhaustif et cette manie encyclopédico-taxinomique — il avoue une passion pour les listes, les catalogues et les nomenclatures, des dictionnaires au bottin, qui le réjouit par son implacable ordonnancement alphabétique et la différenciation insensible qui s’opère d’un patronyme à un autre —, cette manie taxinomique qui taraude également l’écriture flaubertienne : ses textes sont des compilations, des listes d’objets, de dates, de noms de personnes et de lieux, des successions de faits, des catalogues de discours flottants et de paroles reçues en amer héritage. Parcours à travers l’histoire du XXe siècles, Europeana en fait entendre les voix multiples et dissonantes, réductrices et péremptoires, dogmatiques et assurées. Dans une forme de « protestation contre l’effacement des choses dans l’oubli » [27] qui passe par la restitution des discours, Ourednik s’attache à faire le compte des dires d’une époque — qui sont aussi, dans leur certitude arrogante, les dires de toutes les époques.

Tentative de fixation non pas des choses mais des discours, dans leur vacuité et leur solidité terrifiantes, Europeana balaie les manifestations de la bêtise humaine en se plaçant en leur sein : raccourcis de pensées et formules toutes faites qui se succèdent et s’empilent ; manifestations idéologiques d’un temps déboulonnées par les suivantes ; truismes universels dans leurs variantes géographiques et temporelles. Tel Bouvard et Pécuchet englués dans l’autoritarisme des discours de savoir, le narrateur ourednikien doit composer avec l’arrogance des stéréotypes et des lieux communs, alors que, dans leur énumération même, se lit en filigrane leur évidement : « égalité de tout, du bien et du mal, du beau et du laid, de l’insignifiant et du caractéristique. Il n’y a de vrai que les phénomènes. » [28]


Écouter l’intervention.


[1Tiphaine Samoyault, « On ne se souvient pas de Flaubert », Œuvres & critiques, XXXIV, 1, Écrivains contemporains lecteurs de Flaubert, 2009, p. 87.

[2Ibid., p. 89.

[3Ibid., p. 93.

[4Ibid., p. 96.

[5Patrik Ourednik, Europeana. Une brève histoire du XXe siècle, Allia, 2004.

[6Vaclav Richter, Rencontres littéraires, « Le XXe siècle vu par Patrik Ourednik », 2 mars 2002, Radio Prague, http://www.radio.cz/fr/article/24603.

[7Books. L’actualité par les livres du monde, Littérature et Arts, n° 20, « Traduire est un art de contrebandier », entretien accordé le 10 mars 2011, http://www.booksmag.fr/litterature-et-arts/traduire-est-un-art-de-contrebandier/.

[8Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet. Dictionnaire des idées reçues, édition avec dossier présentée par Stéphanie Dord-Crouslé, « Garnier-Flammarion », Flammarion, 1999.

[9Franc Schuerewegen, « Muséum ou Croutéum ? Pons, Bouvard, Pécuchet et la collection », Romantisme, n° 55, CDU et SEDES, 1987.

[10« Certains historiens ont dit plus tard… » (p. 8) ; « Mais d’autres historiens disaient… » (p. 10).

[11Une remarque liminaire et qui vaudra pour toutes les analyses formelles et stylistiques que je pourrai faire par la suite. Remarque liminaire et précaution méthodologique, bien sûr. Le texte d’Europeana sur lequel je m’appuie est la traduction française de l’ouvrage initialement publié en langue tchèque. Mais Patrik Ourednik est également traducteur : traducteur en tchèque de Queneau – par lequel il dit être « revenu » à Flaubert —, Beckett, Jarry, Claude Simon ou Boris Vian. Traducteur en français de Vladimir Holan, Ivan Wernisch ou Jan Zabrana. S’il ne traduit pas lui-même ses textes, il collabore étroitement à la traduction — « assez activement », dit-il, on appréciera l’euphémisme : quinze versions différentes pour Europeana, dans une recherche minutieuse du mot le plus juste, de l’équivalence la plus exacte, puisqu’il s’agit toujours de trouver un équilibre subtil entre ce que Jean-Claude Chevalier nomme « l’orthonymie », la conformité de l’énoncé aux structures de la langue cible, sa recevabilité et l’effet de style que l’auteur veut produire. Quinze versions pour la traduction d’Europeana. Une douzaine pour la traduction en cours de Classé sans suite. La « pioche » flaubertienne n’est pas loin.

[12Éric Bordas, « Et la conjonction resta tensive. Sur le et de relance rythmique », Le Français moderne, n° 1, 2005.

[13Claire Badiou-Monferran, « Coordonner : (qu’)est-ce (qu’)ajouter ? », Figures d’ajout. Phrase, texte, écriture, textes réunis par Jacqueline Authier-Revuz et Marie-Christine Lala, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2002, p. 97-110.

[14Florence Pellegrini, « Espace mode d’emploi : l’esthétique tabulaire chez Flaubert et Perec », Lo sguardo e la voce. Dialogo e convergenze nel novecento francese, a cura di Giuliana Costa Ragusa e Luciana Grasso, Lingua e testo. Saggi e ricerche del Dipartimento di Scienze Filologiche e Linguistiche, 4, Università degli Studi di Palermo, Flaccovio, Palermo, 2006, p. 141-161, http://www.item.ens.fr/index.php?id=194216 ; - « Écritures de la causalité : Flaubert, Zola », La Mise en texte des savoirs, textes réunis par Kazuhiro Matsuzawa et Gisèle Séginger, Presses universitaires de Strasbourg, 2010, p. 125-138.

[15Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Gallimard, 1945, p. 245.

[17Michel Crouzet, « Sur le grotesque triste dans Bouvard et Pécuchet », Flaubert et le Comble de l’Art. Nouvelles recherches sur Bouvard et Pécuchet, Paris, Société des études romantiques, CDU et SEDES, 1981.

[19Philippe Dufour, Flaubert et le pignouf. Essai sur la représentation romanesque du langage, « L’imaginaire du texte », PUV, 1993.

[20Ibid., p. 29.

[22Gustave Flaubert, Correspondance, tome II (1851-1858), édition établie, présentée et annotée par Jean Bruneau, « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1980, p. 208.

[23« Quelle lourde machine à construire qu’un livre, et compliquée surtout ! Ce que j’écris présentement risque d’être du Paul de Kock si je n’y mets une forme profondément littéraire. Mais comment faire du dialogue trivial qui soit bien écrit ? Il le faut pourtant, il le faut. », Gustave Flaubert, lettre à Louise Colet, 13 septembre 1852.

[24Patrik Ourednik, écrivain tchèque, Cercle de Réflexion, Soirée littéraire de la Représentation en France de la Commission européenne, p. 7-8.

[25Ibid., p. 14.

[26Georges Perec, Penser/Classer, « Textes du XXe siècle », Hachette, 1985 ; réédité en 2003, « La librairie du XXIe siècle », Seuil, p. 164.

[27Patrik Ourednik, écrivain tchèque, Cercle de Réflexion, Soirée littéraire de la Représentation en France de la Commission européenne, op. cit., p. 8.

[28Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet, op. cit., p. 39.